QU'EST-CE-QUE LE YOGA ?


 

          Poser une telle question à l'heure actuelle peut paraître obsolète, les médias abordant souvent le yoga via des modes régulières sur des sujets aux relents orientaux. Toute une vague de mystère entoure la discipline à mi-chemin entre une gymnastique, une relaxation, une zen attitude... et autres trucs du genre, sauf que le yoga est bien autre chose. Voilà pourquoi la question se pose !

          Ce n'est que vers les années 1930 que le yoga pointe son nez en France sous le joug du Haṭha yoga (yoga de l'effort) vers une gymnastique posturale nommée āsana. Depuis les āsana (les postures de yoga) signent dans les esprits l’association de postures à cette philosophie.

          Cette signature posturale est une dérive qui vient des bhāṣya (les commentaires) sur les  Yoga-Sūtra de Patañjali, texte qui fait office de ''bible'' sur le sujet. Ces sūtra mentionnent pour objectif du yoga le samādhi (l'union au Soi). Dès les premiers sūtra le texte est très clair, on peut y lire : Yogaś citta-vṛtti-nirodhaḥ – le yoga, c'est l’arrêt des fluctuations du mental.

          Texte clair au départ, il devient de plus en plus sibyllin au fil des interprétations des commentateurs ; surtout la deuxième partie (Sādhana pāda) qui traite la notion des āsana. Nulle part, il n'est fait mention de postures particulières comme le lotus, l'équilibre sur la tête, etc.

            Āsana dont la racine AS- signifie être, exister, pointe que le mot āsana en tant qu'assise, est une ''assise existentielle'', ce qui n'a rien à voir avec la posture au sens physique du terme.

 

            L'origine même du yoga reste floue. On imagine que les peuples vivant dans la vallée de l'Indus, selon les découvertes faites à Mohenjo-Daro et à Harappâ, (où fut trouvée, entre autres, une tablette d'argile sur laquelle figure un personnage que l'on aurait pris pour un yogi) seraient à l'origine du yoga. Thèse qui aujourd'hui fait de moins en moins d'adeptes. Il est plus que probable que le yoga remonte bien plus loin dans la nuit des temps. Tout comme la philosophie chez les Grecs qui n'est pas apparue d'un seul coup, ''il n'y a rien, puis il y a la philosophie'', le yoga s'élabore des philosophies de l'Asie du Sud, lesquelles semblent également avoir alimenté la Philosophie Grecque.

            L'une des plus anciennes : la Kaṭha Upaniṣad, narre les imbrications entre l'âme d'un individu et son corps. En elle-même, cette narration est un yoga, mot largement traduit par : union. Philosophie donc, le yoga se présente en eudémonisme, (comme n'importe quelle autre philosophie).

            La proposition de Patañjali,  ''arrêt des fluctuations du mental'', place cette discipline au rang des thérapies de l'esprit. Nous avons pris l'habitude d'entendre la psycho-analyse au regard de Freud, même si déjà, Antiphôn le Sophiste le précédait de plusieurs siècles. La maïeutique, l'art d'accoucher les esprits n'a pas attendu la psychanalyse.

 

            Le yoga est avant tout de cet ordre ! Rendons hommage à : Sw. Prajnanpad (1891–1974) qui permit d'établir un trait d'union entre les Upaniṣad et la psychologie occidentale et à l'un de ses  élèves : Arnaud Desjardins (1925–2011) qui a largement fait connaître ce dernier. Ces maîtres parlaient d'un adhyātma yoga (yoga qui concerne le Soi).

            En fait, tous les yoga concernent le Soi. La  Kaṭha Upaniṣad, dont nous avons fait mention, dit : ''Après avoir fermement ancré son sentiment d'être dans le Soi, le sage est libéré des joies et des souffrances.'' Ataraxie disaient les Grecs, absence de trouble !

          Le Yoga est donc la quête du Soi ! Et via la quête de soi, c'est-à-dire le corps/mental, diverses thérapeutiques furent proposées au gré des courants de pensée. Le yoga est un darśana (un point de vue), point de vue qui n'a cessé d'évoluer dans la fourmilière des philosophies indiennes et sanskrites. C'est d'ailleurs par le biais de la philosophie tantrique que peu à peu, la posturale s'est nantie des couleurs que l'on sait.

           Il semble qu'au départ, le yoga n'avait cure du corps. Avec le Tantrisme, la chose est toute autre. Aujourd'hui, le yoga dispose d'une approche somato-psychique, mais il n'en demeure, sa visée reste sotériologique. Aujourd'hui, pour les médias, ''le salut'' s’éclipse, au profit d'une simple proposition de bien-être, dont on ne sait trop les aboutissants.

 

            Il n'est pas rare que le mot mārga (chemin) se substitue au mot yoga. Toutefois, quatre voies majeures résument la direction du yoga à savoir : le jñāna-yoga, le bhakti yoga, le karma yoga et le rāja-yoga, auxquelles s'annexe une cinquième : le kriyā-yoga.

            Le chemin s'inspirant des Yoga-Sūtra, codifiés par Patañjali  est dit : le yoga royal (rāja-yoga) ou encore yoga intégral. Basé sur huit étapes, il se nomme aṣṭāṅga-yoga ou aṣṭāṅgamārga. En fait, deux formes de yoga sont décrites par Patañjali : la kriyā (yoga des techniques) et la aṣṭāṅga (yoga des huit membres).

            Une forme particulière de yoga est le haṭha-yoga, c'est lui qui reçoit les influences tantriques et śivaïques, qui donneront la multitude des āsana. D'une certaine façon, c'est ce yoga ou plutôt un ersatz de ce yoga, qui est proposé dans les cours occidentaux par divers enseignants, peu souvent au courant de ces subtilités.

 

           Prosaïquement, on peut dire que le yoga est la libération des tensions physiques, émotionnelles et mentales, ce que de nombreuses pratiques proposent. Les multiples préfixes au mot yoga vont chacun dans ce sens, peu importe que cette voie propose ou non une gymnastique. Chacune de ces philosophies vise le Salut et secondairement la santé et le bien-être.


Les yoga posturaux principaux :

 

            Actuellement, ils sont plutôt nombreux ! Néanmoins, à y regarder de près, tous se rattachent au Haṭha Yoga, comme tous  s'appuient également sur les Yogasūtra de Patañjali, c'est-à-dire, indirectement, au yoga intégral (ou rāja-yoga). De nombreux ersatz à ce yoga sont de peu d’intérêt et n'apportent que de piètres ajouts. 

 

            Les yoga plus reconnus sont :

 

Le Haṭha Yoga

 Ce yoga est une forme tardive élaborée par les Nātha ou Siddha-yogi. On doit au Yogi Svātmārāma le texte sanskrit intitulé : Haṭhayoga-Pradīpikā, « Petite torche du Haṭha-yoga » qui semble être le texte le plus ancien sur le sujet. Deux autres textes classiques traitent du Haṭha, la Gheraṇḍa saṃhitā et la Śiva saṃhitā.

            Ce yoga, qui signifie le ‘‘yoga de l’effort’’ se veut être, un chemin d’éveil, par le biais des āsana, celui du prāṇāyāma et de la méditation. Une tradition veut que ‘‘ha’’ soit le soleil et ‘‘tha’’ la lune, cette symbolique en fait une forme d’union des dualités. 

            Les nāthayogin sont en relation avec le śivaïsme, fondé par Matsyendranath ; ils sont les maîtres qui dominent : les nātha (ce sont, les seigneurs ou encore les époux). Ils font aussi partie de la tradition du yoga tantrique. On rencontre des cultes tantriques dans les écoles śivaïtes, dès le VIe siècle.

            Aussi, la plupart des maîtres contemporains, sont avant tout des Haṭhayogi, qui, avec l’influence des Yogasūtra de Patañjali, font apparaître l’aśtanga-yoga, le vini-yoga, etc. En fait, La science du Haṭha-Yoga, est une étape pour atteindre au Rāja-Yoga.

 

 

L’Aśtanga-Yoga

C’est un condensé de plusieurs yoga, qui en fait une méthode dynamique, incluant une synchronisation de la respiration. Sa base, est le Haṭha Yoga, dans la rencontre des Yogasūtra de Patañjali ; un texte construit en quatre sections : Samādhi pāda- un manuel de contemplation. Sādhana pāda- les moyens de suivre la discipline. Vibhūti pāda- les pouvoirs et Kaivalya pāda- l’émancipation.

C’est le deuxième pāda (Sādhana pāda) qui propose huit (aśta) parties (aṅga) vers le samādhi- la contemplation du Soi qui constitue ce type de yoga, lequel fut proposé par Sri K. Pattabhi Jois de Mysore.

 

Le Vini-Yoga

           Ce yoga est lui également basé sur les Yogasūtra et le Haṭha Yoga. Cette pratique a la particularité d'avoir été remaniée et modernisée par Sri Krishnamacharia et plus tard développée par T.K.V. Desikachar de Chennai (Madras) afin de s'adapter au monde moderne, qui n'est pas toujours à même de vivre un yoga traditionnel. Le Viniyoga se doit de s'adapter à chaque pratiquant.

 

 

Le  Rāja-Yoga (ou encore appelé  Saṃyama-Yoga)

             Il y a ceux qui pensent que le Rāja-Yoga s’appuie sur les aṣṭāṅga (les huit membres) et ceux qui pensent que seuls les quatre derniers aṅga ; ceux qui traitent de l'intériorisation (voir les trois derniers appelés Saṃyama (restreinte) forment le Rāja-Yoga.

            Si on tient compte que seul le saṃyama forme ce yoga, il s'agit plus justement d'une technique de ''méditation''.

            Faut-il voir une pratique posturale en ce yoga ?

           Rien dans les Yogasūtra de Patañjali laisse véritablement penser cela. Le troisième aṅga : āsana (traduit par posture) est ''une assise existentielle'', mais néanmoins, une position apte pour s'exercer à la méditation ; c'est-là toute la prouesse posturale dont il est question.

            Il n'en demeure, que seul ce yoga pose d’emblée les bases d'une visée commune à tous les yoga : le samādhi.

 

            Une autre façon de sous entendre le Rāja-Yoga, veut que ce yoga soit le couronnement, c'est-à-dire l'aboutissement des yoga. Mais ce ''yoga royal'' sous entendant le passage des aśtanga par les āsana, se doit d'aboutir via le saṃyama, vers le samādhi.

 

Le Kriyā-Yoga

           Ce yoga des techniques ou yoga de l'action, associe la concentration et l'énergie. Sa particularité est l'établissement d'un triptyque, qui vise à la purification du corps, l'analyse de soi et la conscience spirituelle.

         Constitué de techniques (dites) avancées de Haṭha Yoga, ce yoga aborde un ésotérisme particulier, propre au travail de l'énergie, notamment celui de la Kuṇḍalinī-Yoga.

            Lui aussi, puise dans les Yogasūtra de Patañjali. On peut y voir une combinaison de Haṭha, de Rāja et de Laya-Yoga.

 

Kuṇḍalinī-Yoga ou Laya-Yoga

           Ce yoga vise l'éveil de la conscience par la maîtrise de l'énergie. Ce réveil de kuṇḍalinī-śakti est pertinemment la principale visée du Yoga tantrique.

            La Kuṇḍalinī est la mère de l'énergie, c'est elle que l'on appelle l'énergie spirituelle.

            Dans certaines versions tantriques, la posturale est aussi présente.


 

           Cependant, si tous les yoga visent le samādhi, tous ne passent pas par la posturale (les āsana). C'est par exemple, ce que nous laisse entrevoir le rāja et la kuṇḍalinī.  

        Les philosophies indiennes (on dit aujourd'hui philosophies sanskrites) offrent différents points de vue (les darśana). Indépendamment des darśana  classiques, qui sont les six points de vue de la philosophie āstika (qui reconnaissent les Veda) : le Vaiśeṣika et sa méthode : le Nyāya ; le Sāṃkhya et sa méthode : le Yoga et le Mīmāṃsā et sa méthode : le Vedānta, d'autres points de vue naissent au travers des différentes voies yogiques. Les Yogasūtra de Patañjali encore appelés Sāṃkhya Yoga font naître aux côtés du Kriyā-Yoga et du Rāja-Yoga, d'autres darśana : le Karma-Yoga, la Bhakti-Yoga et le Jñāna-Yoga.

 

Le Karma-Yoga

Ce yoga ou ce mārga (chemin) est une pratique philosophique marginale.

     Le mot karma en sanskrit signifie action. Ce yoga propose une action désintéressée, mais peut-on agir de façon impersonnelle, ne pas prendre partie ? L'ego attend toujours quelque chose, ce qui laisse entendre qu'il faudrait-être sans ego pour être pleinement dans ce yoga.

       C'est donc une façon particulière de vivre et de tendre vers la ''libération''. La finalité du Karma-Yoga est naiṣkarmyasiddhi (la perfection de la libération des actes), c'est-à-dire être dans le "non-agir".

 

La Bhakti-Yoga

Le Karma-Yoga fait tandem avec une autre voie : la Bhakti-Yoga ou voie de la dévotion. On pourrait parler du yoga de la foi.

 

Le Jñāna-Yoga

      Ce yoga darśana de la philosophie hindoue qu'est le Jñāna-Yoga est le yoga de la connaissance. Il énonce que l'absolu est le « Soi véritable ».